Du l’art?
Je n’ai plus de prétention à faire du l’art, encore moins du l’art contemporain qui sent mauvais sous les aisselles, pas même de la peinture.
Je peins et ça s’arrête là. Evacuation des étiquettes et de l’histoire de l’art, ouverture de la cour de récréation, je vais où le vent des enchaînements me mène.
La peinture du reflet
Il y a parfois des raccourcis fulgurants dont la source escamotée décuple la puissance des sentiments qu’ils provoquent. Le reflet m’a toujours fasciné. Je crois que cette fascination est largement partagée et sur cette sensibilité commune on peut bâtir des ponts, asseoir une communication riche. Dans un reflet, l’image de référence est fréquemment modifiée: étirée, rétractée, inversée, les couleurs changent de tonalité, le macrocosme se trouve concentré en une surface réduite, comme un écho visuel. Le reflet évoque de manière imagée le prisme de nos sens, le prisme de notre esprit qui interprète les données de nos sens, et par conséquent la relativité de notre représentation du monde, la relativité de nos opinions. C’est une leçon de modestie indirecte.
En condensé, du reflet à la réflexion, il n’y a qu’un pas...
La peinture du langage
Ce qui semble nous différencier de l’esprit animal des autres espèces terrestres c’est un filtre spécifique, celui du langage qui peut d’ailleurs lui aussi s’envisager comme une création de la nature, comme un reflet que la nature produit d’elle-même via l’une de ses créatures. Pour moi, la culture, c’est toujours la nature. Bref, l’essentiel de ce que nous pensons prend les habits du langage et ce travestissement ( si pratique à bien des égards), cette abstraction sémantique, tout en jouissant du pouvoir d’évoquer tout ce qui existe, nous met à distance de la Réalité Objective. Ce langage fait donc « naturellement » irruption dans ma peinture mais inversé, les pieds au plafond, car ce qu’il voudrait exprimer nous reste inaccessible par lui, sauf peut-être lorsqu’il devient poétique. La poésie tend à nous plonger et nous dissoudre dans Le Grand Tout.
La peinture de l’inachèvement
Nombre de mes tableaux sont volontairement inachevés. Je leur conserve par exemple une zone seulement crayonnée ou bien où l’apprêt vierge fait surface. Le point d’origine se situe dans ma fréquentation des musées et dans l’attirance et la fascination que j’ai toujours ressenties pour les peintures inachevées des grands maîtres figuratifs, pour les esquisses, les préparations, les modelos. La juxtaposition de zones juste crayonnées ou bien carrément de toile brute avec des zones de peinture menée à terme m’est toujours apparue comme la consécration de l’artifice, comme la condition de l’apothéose de la peinture dans sa dimension figurative de la représentation du « monde rétinien ». Une sorte d’épiphanie picturale. C’est une fascination primordiale, le lien direct via le vortex de la peinture inachevée à l’émotion qui a dû accompagner la naissance de la figuration au paléolithique.
La peinture en noir et blanc
Au même titre que l’inachèvement, c’est un parti-pris dont l’un des premiers bénéfices est de faire exister une peinture figurative en tant que peinture. Cette « demi-mesure », outre ses vertus vibratoires propres, permet donc au peintre de continuer à explorer la dimension figurative de la peinture. C’est une façon simple et efficace, presque primaire, d’ajouter l’homme à la nature, à parler à l’homme de sa propre nature...